Vabljeni k branju članka dr. Nine Krajnik Kako se lahko počutite tako sami v naši socialistični enotnosti?. Članek je izšel v mednarodni psihoanalitični reviji MENTAL – l’EuroFédération de Psychanalyse, št. 37 (ur. Domenico Cosenza).

« V času Socialistične republike Jugoslavije se je v Sloveniji zgodil primer, ki je bil obsežno razkrit leta 2017. Pesnica Ada Škerl, začetnica literarnega gibanja, danes imenovanega ‘slovenski intimizem’, je objavila zbirko svojih pesmi. A knjiga, ki je naslavljala teme ljubezni, trpljenja in manka, je bila objavljena v času socialistične politike in zato v nasprotju s svojim časom in svojim krajem. Komunistična partija je cenzurirala pesniško zbirko in jo razglasilo za ”sovražnico države”. Mlada pesnica je padla v pozabo. Zagrožen je bil zapor. Subjektivno občutje melanholije, izgube in samote brez upanja v prihodnost ni bilo v skladu s politiko, ki je zahtevala opustitev singularnosti za voljo objektivnih in univerzalnih ciljev zgodovine, ki jih uresničuje ljudstvo. ”Kako se lahko počutite tako sami v naši socialistični enotnosti?” je bilo vprašanje Partije. 

Kmalu za tem je komunistična Partija uradno priznala novo literarno zvrst – slovenski intimizem, ki jo je uradno otvorila knjiga pesnikov, ki so tematike intimnega izrazili z dovoljenjem socialističnega režima. Zbirka je bila poimenovana Pesmi štirih. To je bil način kako imeti ”najboljše iz obeh svetov.” In to je bil način, kateremu je v letih, ki so sledila, v Sloveniji zapadla tudi lacanovska psihoanaliza. 

Ta oblika ”teoretske psihoanalize” ni bila dobro umeščena le v politiko jugoslovanskega socializma, pač pa še dolgo za tem tudi v slovenski demokratični svet. Pav tako pa je lahko ugajala tudi drugim sistemom v svetu. Zakaj? Zato, ker je obljubila realizacijo sanj vsake politike: ”Lahko imate intimizem, toda nadzorovan intimizem. Lahko imate psihoanalizo, toda psihoanalizo brez intimnega.” »

 

MENTAL

L’INTIME ET LA POLITIQUE

Mais comment est-ce possible que vous vous sentiez si seule dans notre unité socialiste?

par Nina Krajnik

Il y avait en Slovénie, à l’époque de la République socialiste de la Yougoslavie, un cas traité par la justice qui a été révélé en 2017. La poétesse Ada Škerl, pionnière du mouvement littéraire que l’on nomme aujourd’hui l’intimisme Slovène, avait publié un livre de ses poèmes. Ce recueil, par son évocation de l’amour, de la souffrance et du manque  et qui a été publié dans la période marquée par la politique socialiste, était en décalage avec ces temps et ces lieux. L’oeuvre poétique a été censurée par le Parti communiste qui l’a proclamée « ennemie du pays ». De ce fait, la jeune poétesse tomba dans l’oubli et a été menacée d’emprisonnement. L’état subjectif de mélancolie, de perte et de solitude, sans aucun espoir dans l’avenir, n’a pas reçu le soutien de la politique – la politique qui a exigé l’abandon de la singularité pour les buts objectifs et universels de l’histoire, dont le peuple était déclaré porteur. « Mais comment est-ce possible que vous vous sentiez si seule dans notre unité socialiste? » était la question du Parti.

Parler de la question de l’intime et du politique évoque, dans un premier temps, la question d’une limite, d’un bord entre le lieu où le sujet peut être « chez lui », sans contrôle de l’Autre, et le lieu du regard de l’Autre avec ses exigences. Plus qu’une distinction simple entre le privé et le public, le caché et le vu, l’intérieur et l’extérieur, cette frontière est d’abord la condition même de l’existence de ces deux espaces. L’espace de l’intime est bordé par la politique et la politique se met en rapport avec l’intime. Leur topologie a pour résultat un reste subjectif, qui est aussi la condition de la psychanalyse. Mais pour qu’il y ait psychanalyse cette limite doit représenter un droit formel, lequel ne consiste pas seulement dans le règlement de l’intime, au nom du contrôle et de la transparence, mais surtout dans l’autorisation de la liberté et de la subjectivité.

Cette constellation peut produire un court circuit entre le désir singulier et le désir qui opère provisoirement au niveau de plusieurs, pour achever sa légitimation. C’est le court circuit entre la règle pour tous et l’autonomie d’un seul. La puissance de l’Autre est fondée sur les limitations et les requêtes qui dépendent du type de la politique. Mais malgré le système, soit totalitaire soit démocratique, l’Autre est structurellement l’Autre de la loi, sous laquelle tombe l’intime. Ce règlement à pour vocation d’être élaboré au nom des valeurs collectives, de la morale, des idées du bonheur, de la santé, de la sécurité etc. Ce qui signifie, qu’au nom de ces valeurs, l’intime peut être surveillé, requis, rejeté, puni, prescrit, exhibé ou menacé.

Dans ce cas, la lutte entre le sujet et l’Autre peut être lancée. Lorsque la limite est marquée par la dialectique, elle est comprise différemment par le sujet et par l’Autre. Pour établir la différence entre le lieu de sujet et le lieu de l’Autre, deux conditions simultanées sont nécessaires – le droit d’avoir une vie privée et la liberté de pouvoir en parler. Cette liberté se soutient d’un choix subjectif. Celui soit d’exhiber la vie intime  soit de la garder strictement pour soi-même – mais avoir le choix est crucial, malgré tous les délices narcissiques de l’exhibition ou de la jouissance à cacher. Ce choix signifie qu’il y a bien une politique qui permet la subjectivité.

Mais si le lieu du sujet dépend des conditions formelles, il n’est pas sans la politique. Il est aussi marqué par le pouvoir parce qu’il est fondé sur la force – la force de pouvoir se séparer de pouvoir. Ce n’est pas entièrement une autre chose, das ganz Andere, mais plutôt la démonstration du fait principal : la limite entre l’intime et politique est fluide et mobile. Cette mobilité influence autant le sujet que la politique et produit un reste qui échappe aux deux.

Ce reste est ce qui est le plus singulier du sujet. Si le contrôle politique est fondé sur l’imaginaire qui dirige le monde « vu » et « extérieur »  l’intime, contrairement, n’est pas seulement le monde « caché» et « intérieur », mais fait rapport avec l’Autre par le langage, ses règles et ses significations. Entre le sujet et l’Autre il y a donc toujours un reste qui est lié à la parole. Ce reste est le surgissement et le point de départ de la psychanalyse qui peut aussi représenter un lieu – le lieu où le sujet peut parler de l’intime sans le regard de l’Autre.

Mais si la psychanalyse est possible à condition d’avoir une parole libre , un choix et une vie privée, sa présence n’est pas assurée dans toutes les réalités politiques. Si la psychanalyse est possible à condition de pouvoir avoir une vie intime, est-ce qu’elle est possible dans un système de surveillance totalitaire? Avoir sa propre histoire et son propre lieu se soutient d’un acte libre. Avoir ce droit ne signifie donc pas de penser ce droit, mais de mettre en pratique ce droit. Cette pratique est orientée par la liberté de s’exprimer, de dire, de sentir. Elle ne concerne pas l’impératif universel du « nous » ou de « tous » mais de l’un, elle concerne son désir, sa jouissance et par conséquence, son être – l’être dans sa singularité et pas dans ce que l’on devrait être. L’intime est le signe de cette souveraineté. Et la psychanalyse est sa gardienne.

Pour qu’il y ait psychanalyse il doit d’abord y avoir une politique qui permette la vie intime. Sans ce droit, il n’y a pas d’autorisation pour la singularité et la subjectivité. Menacer ce droit ne signifie pas seulement menacer la vie privée, mais aussi le sujet, dans son existence même, parce qu’il devient objet de corrections, de modifications et d’adaptations.

Mais si une certaine politique permet la psychanalyse et en même temps ne permet pas le lieu de l’intime, est-ce que cela signifie que la psychanalyse est modifiée et adaptée aussi? Autrement dit, qu’est ce que la psychanalyse, dans le système politique qui ne reconnaît pas le droit d’avoir une vie privée? Et encore, si la vie privée est surveillée, mais la psychanalyse est présente, quelles en sont les conséquences pour la psychanalyse? Poser ces questions implique d’aborder la problématique particulière de la modification de la psychanalyse lacanienne qui a eu lieu en Slovénie à l’époque du socialisme, alors qu’aujourd’hui elle a une forte présence au niveau mondial.

La psychanalyse est entrée dans le système socialiste de la République fédérative socialiste de Yougoslavie. Différent du système de réal-socialisme qui a instauré un  contrôle sévère de la vie privée par une police secrète, le socialisme yougoslave était marqué par une spécificité. Il ne s’est pas construit uniquement en fonction de sa rupture avec l’Est, mais aussi en fonction de son orientation vers l’Ouest. Le maître mot de l’époque était « d’avoir le meilleur de deux mondes  » – le meilleur du communisme et le meilleur du capitalisme. L’idéal du socialisme yougoslave était la collectivité, alors que la singularité était perçue comme bourgeoise et sentimentale. En même temps, l’intérêt pour ce qui venait de l’Ouest était permis. Dans cette perspective le socialisme a défini la psychanalyse de deux façons: La psychanalyse est « une pratique bourgeoise » , mais en même temps « une doctrine révolutionnaire ».

Cette idéologie de la révolution a été une porte ouverte pour la psychanalyse, mais avec un spécificité. La psychanalyse comme théorie a été permise, mais les psychanalystes ont été interdits. Avoir «le meilleur de deux mondes » signifia de considérer  la théorie comme « le bien » et d’exclure la clinique en tant que représentant « le mal ». Autrement dit, contempler la psychanalyse était permis, mais pratiquer le droit d’avoir un secret, une vie privée et une parole libre, était , en revanche, interdit. Par conséquent, la psychanalyse a été comprise comme une doctrine politique, au nom de laquelle le sujet devient le Maître – le Maître analytique et revolutionnaire qui possède la vérité et le savoir Absolu.

Donc la théorie analytique était  en accord avec « l’air du temps ». Elle est devenue le slogan du mouvement démocratique et de l’indépendance avant la chute finale de la Yougoslavie. Elle n’a pas concerné ce qui  était subjectif, mais ce qui était collectif. Elle n’était pas la gardienne de ce qui est caché et de l’intime, mais de ce qui est vu et public. Grosso modo, elle est devenue la politique elle-même.

Cette transformation de la limite entre ce qui concerne la vie intime et ce qui concerne la vie politique, a produit une forme qui s’appelle aujourd’hui « la psychanalyse théorique » et qui est portée par une figure qui s’appelle « le psychanalyste théorique ». Ce n’est pas une simple application des concepts psychanalytiques dans le champ social, mais une forme de psychanalyse « contrôleuse ». Lorsqu’elle s’appuie sur l’imaginaire, elle s’oriente vers l’analyse de ce qui peut être vu (le cinéma, l’art, l’esthétique politique…). Ses effets sont le spectacle et le pouvoir médiatique. Elle se fait voir en échange de tout voir, tout savoir et tout contrôler.

Dans cette constellation, l’intérêt pour le sujet signifie la même chose que l’intérêt politique pour la vie intime. « Le psychanalyste théorique » fonctionne comme l’Autre de la politique, alors que la psychanalyse est soumise à tous les discours de masse – soit comme une instance critique des systèmes politiques soit comme une instance prophète d’un autre type de socialisme. C’est la «psychanalyse » qui ne vise pas au sujet, mais à l’assujettissent; qui ne vise pas à l’intime, mais à l’Autre. C’est la « psychanalyse » transformée, avec un regard répressif, administratif et bureaucratique, collée au discours du Maître, comme son envers. Et pour cette raison elle fonctionne bien dans tous les systèmes politiques, de n’importe de quel type.

Ce changement de la psychanalyse met le sujet à la place où il peut facilement devenir  l’objet de la politique. C’est un écho de l’époque socialiste, quand le droit d’avoir des secrets et une vie privée était limité, alors que le droit à la vie intime a pu exister, provisoirement. Mais ce déplacement de l’Autre dans le champ de l’intime n’exclut pas seulement la subjectivité, il exclut aussi le discours analytique et positionne la psychanalyse « entre deux mondes », position qui est précisément celle de la psychanalyse comme politique.

Peu après l’affaire judiciaire de la jeune poétesse, à l’époque yougoslave, le Parti communiste a officiellement admis un nouveau courant littéraire, nommé l’intimisme Slovène. Le courant a été initié par un livre écrit par plusieurs poètes qui ont exprimé les topiques intimes avec la permission de régime socialiste. Leur recueil a été intitulé les Chants des quatre. C’était encore une manière d’avoir « le meilleur des deux mondes » – une manière dans laquelle est tombée également la psychanalyse lacanienne, dans les années qui ont suivi.

Cette forme de psychanalyse n’était pas exclusivement bien positionnée dans la politique socialiste yougoslave. Elle l’est aussi bien aujourd’hui dans le monde démocratique Slovéne et peut plaire aussi à autres système dans le monde. Pourquoi? Parce qu’elle a promis la réalisation des rêves de chaque politique: « Vous pouvez avoir l’intimisme, mais l’intimisme surveillé. Vous pouvez avoir la psychanalyse, mais la psychanalyse sans l’intime. »